vendredi 13 juin 2008

Nous avons tout vu et rien appris des crises

Nous publions ici, à titre de documentation, deux articles de Jacques Gravereau, directeur de l'Institut HEC Eurasia, coauteur de "Crises financières" aux éditions Economica.

Ces articles, sur les causes et les raisons de la crise actuelle ont été publiés dans La Tribune des 24 et 25 janvier dernier. L'analyse de Jacques Gravereau nous semble pertinente.
Les soulignements sont le fait du CIREN.



Les banques ont créé, sur fond de prêts immobiliers américains, une énorme fusée financière à trois étages (ABS, CDO, SIV, lire notre édition d'hier) d'une folle complexité, qui a sa vie propre et à laquelle personne ne comprend plus rien.



En 2007, la machine financière se met à tourner dans une folle ronde. Personne ne veut être en reste. Toutes les banques (pas seulement américaines !) proposent monts et merveilles, sur le papier financier, des artificiels CDO et autres SIV, ainsi que sur le marché immobilier, même si ça n'est pas leur métier, tel Lehman Brothers. Certains, comme Morgan Stanley, voient le danger et achètent pour des dizaines de milliards de dollars de garanties sous forme de credit default swaps, qui ne sont, eux aussi, que des morceaux de papier (rien de nouveau : la création des swaps date de la crise de la tulipe de 1637 !). Si les CDO s'effondrent, pensent-ils, il restera des garanties solides sur les risques. La suite leur donnera tort ! Les hedge funds (fonds spéculatifs privés), quant à eux, continuent à bien se porter. Ils ne sont pas saisis par cette frénésie qui n'est pas la leur. Goldman Sachs sent le vent avant les autres et solde ses positions avant l'éclatement de la bulle, sauvant très honorablement son bilan 2007.

En revanche, pourquoi la banque centrale américaine (Fed) n'a-t-elle rien perçu du problème ? Toute à ses certitudes idéologiques que " la main invisible du marché " apporte spontanément ses propres correctifs, la Fed n'a rien vu ni rien fait. Elle savait, comme tout le monde, que la situation était volcanique. Mais il n'y a pas de bulle tant qu'elle n'a pas explosé !
Monnaie de singe

En août 2007, les premières alertes sur les subprimes sonnent, avec la faillite de deux sociétés spécialisées régionales. Début de panique sur les marchés. À ce moment, et à ce moment seulement, on se pose deux questions d'une simplicité biblique : au fait, qui exactement détient les subprimes et autres CDO ?

Que contiennent réellement les CDO et autres SIV ? Et on s'aperçoit avec effarement que personne n'a les réponses, encore moins les autorités de régulation que d'autres. Il n'en faut pas davantage pour que la bulle spéculative crève. Tout ce papier n'est que de la monnaie de singe. Il n'y a plus de marché ni de prix pour rien, ni CDO, ni SIV.

Implosion

Dans une ultime tentative, certaines grandes banques anglo-saxonnes créent un super-conduit de SIV, en apportant leur garantie explicite. Mais la tentative tourne court : le marché du refinancement s'assèche brutalement. Elles devront, pour se couvrir, réintégrer des SIV dans leur bilan et les passer en pertes, pour des dizaines de milliards de dollars en 2007, en attendant 2008. Les transactions entre banques sont sinistrées : il y a de bonnes masses de liquidités au jour le jour, mais pas au-delà. Comme il n'y a plus de marché réel, les mathématiciens sont mis à contribution pour créer des techniques de mark to model (et non plus mark to market) pour tenter de sortir du trou. Comme les effets de la crise ne sont pas immédiatement mesurables, plus personne ne peut prévoir quoi que ce soit.

Que faire ? À court terme, les banques les plus fragiles implosent ( Northern Rock en Angleterre). D'autres consolident leurs pertes dans leurs comptes propres. Certaines se vendent partiellement à des fonds souverains : Citigroup au fonds d'Abou Dhabi, Merrill Lynch à Singapour, Morgan Stanley à la Chine.

Les pays émergents se mettent donc à financer les pays riches, ce qui est nouveau et intéressant. Les pertes directes des banques seront de 400 milliards de dollars peut-être. En réalité, les dégâts différés ou collatéraux peuvent atteindre cinq à dix fois cette somme. L'année 2008 ne sera pas de trop pour colmater les brèches béantes, à commencer par le risque sérieux de contamination à l'économie réelle, qui s'appelle une récession. Le décrochage des Bourses en donne un avant-goût.

On suit la foule

Cette crise financière ressemble fortement à celles des deux derniers siècles et montre une fois encore que nous avons tout vu et rien appris. Elle est la liquidation brutale d'un excès de dette. Elle est une folie spéculative de plus. Elle illustre que la transparence est encore une chimère : on ne maîtrise pas (ou on masque soigneusement) le produit que l'on vend et on s'illusionne sur le produit que l'on achète. On suit la foule tant que tout va bien, jusqu'à la seconde où tout va mal.

Plus inquiétant : les politiques accommodantes de la Fed américaine suivent les marchés plus qu'elles ne les contrôlent, illustrant que le retour de la régulation n'est pas qu'un thème à la mode, mais une nécessité. Si cette crise diffère des précédentes, c'est par la taille colossale de la sphère financière, où l'unité de mesure est passée, en moins de dix ans, de quelques dizaines de milliards de dollars à des ordres de grandeur courants de trillions (1.000 milliards) de dollars, sans commune mesure avec l'économie réelle. La mondialisation n'est pas nouvelle, celle des marchés financiers l'est. Attention, danger.

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